vendredi 3 juin 2011

Lorsque soufflera le vent...

Lorsque soufflera le vent ...



Les temps sont rudes mais rien ne laissait présager ce qui venait d'arriver au jeune Frédéric . Il y a de cela quelques semaines, nous le voyions encore plein de fougue et d'ardeur, aspirant aux rêves les plus fous et vantant les extravagances les plus inaudibles. Comment pouvions-nous imaginer que ce jeune écrivain, mi nostalgique mi précurseur, aurait pu en arriver là?
Lorsque la nouvelle est tombée, peu d'entre nous y ont porté attention. Après tout, des rumeurs de ce genre il en va, il en vient, des dizaines chaque semaines. La vieille encore, il nous parlait de son chef-d'œuvre, celui qui le révèlerait au monde et qui ferait de lui ce à quoi il aspirait le plus. Il en parlait avec fierté et c'est avec une pointe d'arrogance qu'il tentait de nous le résumer. Son roman; combien de fois lui avons nous demandé s'il touchait au but, ce à que il répondait sur l'instant, le sourire aux lèvres : « Mes amis, il vous faut savoir que le temps est un animal difficilement domptable. C'est avec patience et retenue qu'il faut s'en approcher, jamais de face, jamais de dos. Il est nécessaire de faire un choix et de s'y tenir, l'approche latérale étant l'unique chance que nous ayons. Ici, il n'est en aucun cas question de tenir le taureau par les cornes, ce serait pure folie que d'espérer pouvoir lui dicter sa conduite par la force. Si comme moi vous souhaitez mener à bien vos rêves et vos projets, alors il vous faudra faire preuve d'intelligence et de sacrifice. Je touche effectivement au but mais ma raison me souffle qu'il n'est pas encore temps. Mon rêve est au placard jusqu'à la venue de mon heure. »
Nous n'osions jamais le couper dans son élan; il laissait transparaitre une telle assurance et une telle passion qu'il nous était impossible de le ramener à la réalité. Pour être honnête, nous pensions tous plus ou moins fort qu'il souffrait de mythomanie et d'une forme avancée de complexe de supériorité, mais aucun de nous ne fit le premier pas en disant à haute voix ce qui l'aurait très certainement anéanti. Avec le recul, je pense que nous avons fait une erreur. Peut-être sommes-nous pour quelque chose dans l'horrible épreuve qu'il lui a fallu endurer; un mal le rongeait, un mal que régalait notre silence et que l'inaction poussa à la plus violente des attaques. Aujourd'hui nous ne pouvons plus revenir en arrière, aujourd'hui nous sommes en deuil.
Il était le brin de folie que nous n'avions pas, le rêveur affirmé que nous reniions et le jeune homme agaçant dont nous ne pensions jamais être débarrassés. C'est ainsi, la roue a tourné, les dés sont jetés. J'ai perdu un fils, un ami et un voisin, en somme il est parti gagnant. Un jour peu-être, son nom réapparaitra dans les livres d'histoire, ou dans les conversations inter-générationnelles, et ce jour là son rêve sera exaucé.
Je me souviens à présent de ses dernières paroles qui, malheureusement pour lui, n'avaient plus rien de censé. En effet, je l'avais surpris un soir, au coin du feu, à se parler lui-même dans ces termes : « Nous voilà liés, attachés et enchevêtrés pour l'éternité. Ce mal qui te hantait t'a-t-il enfin quitté? Après tout, n'est-ce pas là ce dont tu rêvais? Tu l'as souhaité et voilà que je te l'offre, sans extravagance ni aucune animosité. » Il répéta cela jusqu'à la fin. On venait de lui faire le plus magnifique des présents, mais lui, dans sa bêtise, il ne l'avait pas compris.
Cet après-midi je me rend sur sa tombe. Peut-être me remerciera-t-il enfin... Ses pages étaient blanches, mais d'un coup, et un seul, je lui ai offert la postérité...

Siegfried

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