mercredi 20 juillet 2011

Ophélia

Ophelia


Un jour en Valachie , naquit une enfant, fille de la nuit, fille du sang; Ophelia, c'est ainsi qu'elle s'appelait. Cette nuit-là en Valachie, périt un amant, père d'Ophelia, fils d'Argan; quel pauvre homme il était ! La vie, la nuit est bien tourmentée dans de pareilles contrées. Il n'y a que faire, il n'y a que dire face à tant d'ombre et de noirceur, la volonté s'en trouve égrainée. Au son de la cloche le monde s'agitait, au son de la cloche tout le monde s'enfuyait. C'est ainsi qu'en Valachie, l'on maudit le crépuscule, au nom de l'effroi, au nom des mourants. Une cathédrale fut érigée, Caeleste, en l'honneur des astres, elle devait prévenir du mal et imposer la volonté de son Saint sacré. Ce fut en vain, la nuit tombée, elle s'effondra : Caeleste avait échoué. Grand monarque ou hommes de Dieu, tous furent attristés, non pas par la chute de Caeleste, mais par la futilité de leurs actes et autres serments. Le peuple se détournerait bientôt d'eux, cela ne saurait tarder, ils le savaient. La crédulité l'emportait toujours en Valachie, terre esseulée d'où fuirent les plus hardis. Comment aurait-il pu en être autrement, tant cette région regorgeait de trésors. Paysages idylliques, sol fertile, sources enivrantes, tout était gai. Mais chaque chose à un prix et toutes ces offrandes il fallait les mériter. C'est là ce que se disaient les gens par ici, de cette manière il leur était possible de tout expliquer, de tout justifier, de la naissance d'une enfant dont la vue était à jamais entravée, à la mort d'un père au cœur lourd et à l'âme vaillante. Un mal pour un bien, rien de plus, rien de moins.

Le jour où naquit, en Valachie, Ophelia la douce enfant, ce jour-là fut bénit au prix d'une vie, au prix du sang. Ce qu'est le monde pour un non voyant, aucun d'entre nous ne le sait bien que l'on puisse supposer qu'il regorge de merveilles invisibles. En effet, il devait nous cacher à nous, simples voyants, des visions fabuleuses et des recoins d'antan, sinon où aurait-elle trouvé l'inspiration nécessaire à la création de ses mélodieux enchantements. Sa musique était douce et son chant apaisant, douze années suffirent à parachever son enseignement. Sous ses plus beaux apparats, cet art de l'esprit était capable de redonner goût à la vie à ceux qui étaient prêts à l'abandonner. Ce remède, seule Ophelia pouvait l'administrer, elle disposait d'un don que jamais elle ne rechignait à employer. Quelque fusse l'instrument, il lui suffisait d'improviser, se laissant aller, guidée par les chants de la nature, et les maux disparaissaient. La belle enfant vivait pour les siens, heureuse et insouciante mais elle semblait affectée par le mal qui l'entourait et chaque nuit, alors que tout être censé se barricadait et se réfugiait loin de la noirceur, abrité à la lueur des bougies, elle, emplie de courage et bien décidée à leur venir en aide, elle s'asseyait à la fenêtre et enveloppait la nuit de ses plus beaux chants. Après tout, que pouvait-elle craindre? Ne vivait-elle pas constamment en l'absence de toute lumière? Elle n'avait que faire de la nuit, et bien qu'en Valachie les ombres aient été des plus terrifiantes, Ophelia ne les craignait pas plus qu'elle ne les voyait. Il en était ainsi pour cette fille de la nuit, perdue parmi les démons les plus craints. Des hommes tremblaient, des mères enlaçaient leurs enfants et des héros mourraient pendant qu'elle chantait face à la Lune et au néant. Elle était belle, assise à sa fenêtre, toute frêle, berçant les siens de ses chants.
Un jour malheureusement elle apprit la vérité sur la mort de son père. Ce jour-là, jour de sa naissance, alors que l'accouchement s'était déroulé sans la moindre complication, son père s'aperçut que les yeux de sa pauvre fille étaient dénués de pupilles. Paniqué et ne sachant que faire, il confia la mère et l'enfant à la sage-femme et s'en alla chercher de l'aide parmi les médecins et autres têtes pensantes de la contrée. Perdu dans la nuit, il ne revint jamais. Ophelia ne savait rien de cette histoire, son père n'étant qu'un amant, on lui avait dit qu'il était tombé sur le champ de bataille. La pauvre enfant s'en voulait. Une fille de la nuit, voilà ce qu'elle était, elle aussi avait causé la mort. La nuit suivante périt en Valachie une jeune fille non voyante partie sauver les siens en chantant, une flûte à la main.

Siegfried

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